La Convention Citoyenne pour le Climat a présenté la semaine dernière ses 149 propositions pour traiter l’urgence environnementale dans un souci de justice sociale. La réponse du président a été immédiate, ambitieuse et complète. Pourquoi ?
Rappelons alors que, dès le premier anniversaire de son élection, Emmanuel Macron avait rassemblé les parlementaires en Congrès pour annoncer son intention d’inventer l’État-providence du 21e siècle. Dix-huit mois plus tard, au cœur de la crise que le coronavirus nous impose, ces mots se rappellent à nous. À nous tous.
Le COVID-19 et ses conséquences économiques et sociales ont rendu ce défi encore plus difficile. La tâche, plus ardue, n’en est que plus essentielle. Cette récession, estimée à 10 % du PIB par la Banque de France, va nécessairement sabrer toutes les victoires engrangées depuis 2017. Le chômage ramené sous la barre des 7 % repart drastiquement à la hausse, à commencer par les jeunes pour qui deux tiers des opportunités professionnelles se sont évaporées en quelques semaines. L’endettement public, maîtrisé à 100 % du PIB, est passé en un trimestre à 120 % de la richesse nationale… alourdissant encore le fardeau économique qui pèse sur les épaules des générations futures.
Dans cette crise, l’État-providence joue un rôle vital pour toute la population, des plus riches aux plus pauvres. Toutes les tranches fiscales ont eu besoin de l’hôpital pour se protéger contre le fléau. Toutes les familles se sont rendues compte du travail immense accompli par les enseignants et le rôle majeur que joue l’Éducation nationale dans leur bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Toutes les catégories professionnelles ont eu besoin de la puissance publique pour endiguer le tsunami. Nous avons tous besoin de réinventer l’État-providence.
Sa création, au 20e siècle, fut permise par un effort acharné pour forger un consensus social durable, qui nous unit encore aujourd’hui. C’est le fruit du travail du Conseil National de la Résistance mis sur pieds par le général de Gaulle. L’état de division dans lequel se trouve aujourd’hui la société française nécessite un effort tout aussi important pour fédérer. La Convention Citoyenne sur le Climat et la justice sociale vient de terminer ses travaux. Et si elle nous indiquait la voie, pour sortir de cette crise pandémique par le haut, à l’aide d’un Conseil National de la Résilience ?
Le président de la République en a esquissé les principes lors de son intervention du 13 avril, appelant à l’humilité et à la concorde. Il s’agira pour lui, comme à l’époque du CNR, de se remettre humblement entre les mains des forces citoyennes et de les encourager en entretenant, fidèlement, la paix civile nécessaire à leurs travaux. Son intervention du 14 juin, plus récemment, rappelle tout le sens de cette démarche : être indépendant pour vivre heureux.
À l’issue des élections municipales, un CNR serait sans doute une voie politique plus prometteuse que les solutions classiques proposées par la Constitution. Le référendum ou la dissolution de l’Assemblée nationale ne permettraient sans doute pas au président de la République de capitaliser sur ses forces pour faire accoucher le 21e siècle d’un nouvel État-providence. Un Conseil National de la Résilience, basé sur le schéma de la Convention Citoyenne pour le Climat, pourrait être plus fructueux.
Celui-ci devrait commencer par les fondamentaux : nouvelle providence, nouvelle fiscalité. Pour redonner espoir à chacun. Pour permettre à tous de s’épanouir. Pour revaloriser le travail. Pour réduire les inégalités. Ce qui se joue ici, ce sont les clauses fiscales du nouveau contrat social, qui doit être rédigé avec un esprit de justice fort. Le même que celui qui animait le discours du président de la République lorsqu’il intervenait au Forum Économique Mondial de Davos en janvier 2018 : « Nous ne sommes pas assez attentifs aux statistiques qui disent que la croissance mondiale profite de plus en plus au 1 % les plus riches, y compris en Europe ». Pour suivre cette voie, il faudrait commencer par donner au Parlement de véritables moyens démocratiques d’évaluer les politiques publiques. L’Etat-providence doit commencer par donner aux députés et sénateurs les moyens d’évaluer la loi de finances et de se faire un jugement précis sur ses conséquences sur la distribution des richesses.
Le nouvel État-providence devra également répondre à la principale question qui se pose à l’heure du COVID-19 : comment organiser la meilleure protection collective contre les risques majeurs ? Nouvelle providence, nouvelles assurances. En 1945, le Conseil National de la Résistance a donné naissance à la Sécurité sociale. Et si en 2020, un Conseil National de la Résilience créait une assurance publique similaire pour nous protéger équitablement contre le risque pandémique ou le risque climatique qu’aucune assurance ne prendra réellement en charge ? Lors de son discours au Bundestag en novembre 2018, Emmanuel Macron affirmait déjà cette volonté de protéger : « Si nous voulons garantir à nos concitoyens que nous nous mettons en situation de les protéger face aux nouveaux risques et de choisir notre avenir, il nous faut être plus souverains en Européens. » Cette souveraineté retrouvée, dont il a fait l’écho dans son intervention du 14 juin 2020, doit s’enraciner dans une protection nouvelle pour chaque individu. Face au risque de la dépendance, l’Assemblée vient de voter une cinquième branche de la sécurité sociale consacrée à l’autonomie. Poursuivons la réflexion : pourquoi pas une sixième branche dès demain, consacrée aux risques extrêmes - qu’ils soient pandémiques ou climatiques - ?
S’adressant à l’Assemblée Mondiale de la Santé le 18 mai 2020, Emmanuel Macron continuait de dresser le portrait de ce nouvel État-providence : « La pandémie de COVID-19 (...) nous a rappelé, aussi, s’il le fallait, toute la valeur de la santé humaine et de ceux qui en prennent soin. » Nouvelle providence, nouvelle administration : cette réorganisation de la protection sociale devra se faire selon un principe d’équité publique, rémunérant à leur juste valeur les serviteurs du bien commun. Cette nouvelle organisation de l’État-providence, plus reconnaissante de ceux qui protègent nos vies, a un corollaire : il s’agit aussi d’être plus respectueux des territoires. Le principe de subsidiarité devra irriguer l’action publique modernisée, conférant la responsabilité d’agir aux pouvoirs les plus proches des bénéficiaires.
S’ajoute à cela un autre principe pour régir la refondation de l’État-providence : le principe d’anticipation. Nouvelle providence, nouveau rapport au temps. L’ensemble des forces politiques sont unanimes pour renouer avec la logique de l’État-stratège, capable de voir venir les grandes disruptions politiques, pour l’emploi comme pour la sécurité nationale. L’accélération de la transition numérique et des dérèglements climatiques représentent dès aujourd’hui une menace pour la cohésion sociale. Ces deux tendances catalysent les inégalités préexistantes, en rendant plus vulnérables encore ceux qui sont déjà aujourd’hui les plus fragiles. L’État-providence du 21e siècle est fondé sur une attention renforcée à l’intérêt de ses citoyens actuels comme de ses générations futures. À l’heure où nous réfléchissons à réformer la constitution après la convention citoyenne pour le climat, pourquoi ne pas inscrire le souci du temps long comme principe directeur de toute l’action publique ?
Nous fêtions récemment les 80 ans après l’Appel du 18 juin. À ce moment, le président de la République remettait récemment la Légion d’honneur à la ville de Londres pour célébrer l’esprit de la résistance. Pourquoi ne pas continuer en cultivant l’héritage gaullien jusqu’à la refonte de l’État-providence ? Jamais une telle occasion politique ne s’était présentée à lui qu’avec cette crise du coronavirus. À l’échelle communautaire, Emmanuel Macron a su bouger les lignes, bousculer les dogmes budgétaires, redonner sens au projet européen. À l’échelle nationale, la génération coronavirus peut en attendre autant.