Revenir au site

On ne fait pas avancer l'écologie en bousculant la démocratie

| Thomas Friang

Après l’entretien accordé par le président de la République à Brut, on lit des réactions affolées en réponse à ses propos sur la Convention citoyenne pour le climat et la justice sociale (CCC).

Je crois que ces réactions sont déraisonnables. Par exemple, le garant de la Convention, Cyril Dion, affirme que « le gouvernement est en train de détricoter et d'affaiblir bon nombre de leurs mesures ». Certaines sont mêmes dangereuses. Comme celles du militant d’extrême gauche Thomas Porcher qui accuse le président de verser dans le « cause toujours, tu m’intéresses » après qu’il ait affirmé « je vais pas dire, parce que 150 citoyens ont écrit un truc : c’est la Bible ».

Que doit-on attendre du président de la République ? Son rôle est de consulter pour gouverner, pas de gouverner pour consulter.

Permettez-moi de jouer la transparence : j’ai des convictions politiques proches de celles d’Emmanuel Macron, et sur le plan écologique, je fais partie des marcheurs les plus exigeants pour notre ambition climatique. Je l’annonce pour que mon propos soit compris pour ce qu’il est : une réflexion sur la démocratie et pas un commentaire biaisé du bilan écologique du président de la République.

Voici en effet dix ans que j’ai créé le système de dialogue entre les chefs d’État du G20 et les jeunes générations, le Y20, quand Nicolas Sarkozy présidait le G20 en 2011. Lorsque la France a présidé le G7 en 2019, j’ai également présidé le Y7. Ce G7 des jeunes a formulé 116 recommandations à Emmanuel Macron sur les inégalités. Beaucoup d’entre elles ressemblent d’ailleurs à celles de la Convention Citoyenne.

Les dilemmes politiques posés sont les mêmes. Comme la CCC, le Y7 doit suivre la façon dont ses recommandations sont prises en main. Il y a des succès (comme l’évaluation de tout projet législatif au regard des Objectifs de Développement Durable de l’ONU, adoptée par une résolution de l’Assemblée nationale récemment…) et des déceptions. Nous avons aussi exprimé notre sentiment d’urgence ou bien encore le risque de déception. Mais nous n’avons jamais jeté le discrédit sur l’action du G7 comme Cyril Dion le fait sur la présidence de la République. Car nous basons nos travaux sur trois principes démocratiques.

La démocratie participative n’est pas une démocratie injonctive

Chacun le sait, la démocratie représentative est essoufflée. Plus avisée, formée à exercer son esprit critique (et c’est un résultat magnifique de l’Éducation construite sur l’héritage des Lumières !), la population ne veut plus se contenter de donner son avis dans l’urne. Chacun espère « co-construire » les politiques publiques.

Tout l’exercice de la démocratie participative consiste donc à construire des « circuits courts » dans le domaine politique. Des boucles d’échanges plus resserrées entre les responsables politiques et les citoyens, qui dépassent le simple moment de la sanction électorale.

Établir ce type de mécanismes politiques est à la fois très excitant et très difficile. La mécanique participative peut être très gratifiante en effet. Rappelons-nous la fierté exprimée par les membres de la Convention citoyenne, d’avoir pu exercer de telles responsabilités en partant bien souvent d’une expertise minimale sur les enjeux du climat ! Mais il est très complexe de trouver le bon équilibre car la démocratie participative « nourrit » la démocratie représentative, elle ne l’écrase pas. C’est tout l’enjeu de ce qui se passe en ce moment avec la CCC.

Une consultation, une convention, une concertation… rien de tout cela ne donne un mandat impératif aux responsables politiques. Cela leur donne des moyens plus avancés pour tracer une voie de consensus. Cela leur donne des indications plus claires sur les compromis possibles. Cela facilite l’élaboration d’une feuille de route pour mettre en œuvre les décisions de façon plus respectueuse des intérêts de chacun.

Cela engage ; jamais cela n’oblige. Cela responsabilise ; jamais cela n’impose. Il appartient à chaque responsable politique élu d’assumer ces nuances pour ne jamais risquer de décevoir les citoyens. De même, il appartient à chaque citoyen participant à un processus participatif d’accepter ces nuances démocratiques.

Les consultations ne remplaceront jamais les élections

Ce premier principe doit rester l’axiome de tout système participatif du moment que nous serons en démocratie représentative. Car l’élection, qui exprime la souveraineté nationale, confie le soin aux élus d’arbitrer. De choisir l’équilibre général qu’il faut atteindre entre toutes les politiques publiques.

Une bonne consultation est ciblée. Elle porte sur un champ donné. Celui de la CCC était déjà très large. Rappelons que son objectif était de déterminer les mesures à prendre pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030, avec un véritable souci de justice sociale.

À l’issue d’une consultation, chacun doit accepter que les élus reprennent leurs rôles de plein droit. En premier lieu, c’est la responsabilité de remettre les recommandations participatives dans le contexte politique général. C’est ni plus ni moins ce qu’Emmanuel Macron a dit en rappelant que le coronavirus ne retarderait pas le projet de loi basé sur les travaux de la CCC, mais qu’il obligeait le gouvernement à être d’autant plus attentif aux efforts demandés aux Français pour réaliser la transition écologique alors que la pandémie fait rage… (et j’ajoute : et que la dette publique française est passée en neuf mois de 100 % du PIB à 120 % du PIB !)

Participer n’est pas gouverner. Ce qui induit que les citoyens participants acceptent de se déposséder, à un moment, de leurs propositions. De les transmettre. Celles-ci doivent ensuite être travaillées par le gouvernement et le parlement. Ceux-là ont un mandat démocratique pour le faire.

La démocratie offre un corollaire merveilleux à ce principe : tout citoyen qui souhaite aller plus loin a le pouvoir de se présenter à une élection. Les consultations ne remplaceront jamais les élections. Depuis que j’ai fondé le G20 des jeunes en 2011, je le répète à tous les jeunes Français que j’ai coachés pour y participer et challenger les chefs d’État : si vous trouvez que le système ne retrace pas fidèlement vos propositions et que vous y attachez tant d’importance, engagez-vous, faites campagne, prenez le pouvoir !

Celui qui consulte est celui qui choisit

Dans l’histoire politique contemporaine, un exemple saisissant nous éclaire sur la complexité des systèmes participatifs : la Convention sur l’avenir de l’Europe. Alors que son président, Valéry Giscard d’Estaing, vient de nous quitter, il est important de nous rappeler les enseignements offerts par cette expérience majeure préparant le Traité établissant une constitution pour l’Europe.

En 2001, l’Europe a, elle aussi, choisi de créer une “Convention”. Ce qui est particulièrement intéressant ici, c’est la symétrie par rapport à la Convention Citoyenne pour le Climat. Contrairement à celle-ci, la Convention européenne n’a pas consulté les citoyens pour nourrir la décision des gouvernants. Elle a consulté les gouvernants (parlementaires, gouvernements, juges constitutionnels) pour préparer la décision souveraine des gouvernés (les citoyens eux-mêmes).

Ce processus participatif a pourtant donné lieu aux mêmes critiques politiques : la décision finalement adoptée n’était pas celle qui était proposée, malgré la cohérence politique de l’ensemble des travaux de la Convention et malgré l’urgence de construire une Europe plus unie. Le Traité a même été rejeté en 2004, puis a nécessité 3 ans de réécriture, pour finalement être réduit à une ambition plus limitée.

Cet exemple a frustré beaucoup de visionnaires qui pensaient avoir dégagé un bel horizon pour l’Europe via la Convention. Car oui, en démocratie, la politique est faite de compromis délicats, décevants, et parfois douloureux. Cela est vrai aussi malgré l’urgence climatique, qui n’a pas à tordre nos institutions démocratiques. J’adresse donc ce message strictement politique à ceux qui affirment (à tord) que le processus est vicié : veillons mieux sur notre démocratie, nous en aurons toujours besoin pour faire plus d’écologie.

Tous Les Articles
×

Vous y êtes presque...

Nous venons de vous envoyer un e-mail. Veuillez cliquer sur le lien contenu dans l'e-mail pour confirmer votre abonnement !

OK